RITA
"nous avons une obligation, non plus de moyens comme dans le passé, mais de résultats."
Qu’est-ce que le réseau RITA ?
Le réseau RITA est un réseau d’innovation et de transfert agricole. Il a été conçu suite à la demande sociale exprimée en 2009 pour pouvoir répondre à des enjeux divers, dont le principal est d’améliorer la couverture de l’alimentation de la Martinique en aliments locaux ; d’une part en fruits et légumes et d’autre part en produits animaux, notamment en viande.
C'est un réseau d’organismes qui travaille pour le développement de l’agriculture avec pour but de :
améliorer le développement de l’alimentation,
permettre à la population de se nourrir à un prix raisonnable,
répondre à des enjeux de santé, puisque nous sommes sur une île où les problèmes d’obésité, de diabète sont particulièrement importants.
Mais c'est ce qui se passait avant votre arrivée ?
Oui et non. Pour répondre à l’ensemble de ces défis, à savoir produire une alimentation régulière et de qualité, ce malgré les dangers environnementaux de ces dernières années (chordécone, parasites, non rotation de culture etc), il a fallu améliorer, innover, modifier l’agriculture et revoir la chaine de l’innovation. mais elle était composé d’un côté, des chercheurs qui inventent mais dont les inventions ne passaient pas auprès des agriculteurs, l'utilisateur final.
Or dans les filières organisées, notamment dans la banane, la chaîne d’innovation fonctionnait bien et les résultats étaient directement utilisables par l’agriculteur, l’utilisateur final.
Par contre, dans la plupart des autres filières, les choses marchaient beaucoup moins bien, parce que les différents chercheurs et organisations ne travaillaient pas ensemble, mais les uns à côté des autres, pas avec suffisamment de concertation.
C'est là justement la différence avec le réseaux RITA qui met en avant le besoin de travailler ensemble. Cela, afin de jouer sur les synergies et faire en sorte que le chercheur puisse permettre l’établissement de prototypes chez l’agriculteur pionnier. Que le développeur puisse avoir en sa possession les résultats les plus intéressants pour les valider chez l’agriculteur, et que les organismes chargés de la diffusion (les coopératives agricoles, la chambre d’agriculture, etc.) puissent diffuser l’information au plus grand nombre, de telle sorte que l’ensemble de la profession progresse pour que l’on ait des réponses efficaces au grand défi qui se pose à l’agriculture. RITA c'est un réseau pour qui a des obligations de résultats.
Quelle en est la structure juridique ?
Il n’y a pas d’entité juridique, pour l’instant nous sommes un regroupement de structures avec une gouvernance avec ces deux comités. Il existe un RITA par DOM (Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion et Mayotte). Nous avons une coordination nationale avec un appui technique en termes d’animation et de transmission de l’information. Nous nous rencontrons au moins une fois par an, au cours du Salon de l’agriculture, pour présenter les actions, coordonner les opérations. Nous avons une coordination inter Dom pour mutualiser nos opérations.
Qui sont les acteurs de ce réseau ?
- Les instituts de recherches et les universités, particulièrement chargés, en amont, de concevoir et de mieux comprendre les connaissances nécessaires à produire ensuite des inventions.
- La recherche publique, regroupée au GAEC : le CIRAD, l’INRAD, l’IRD,IRCA et l’UAG ainsi que tout un réseau d’organismes de recherches de la Région… je pense à nos collègues du RANO, les brésiliens de l’IMRAPA, à nos collègues de l’université West-Indies, à tout un réseau de collègues d’autres organismes qui travaillent dans un milieu très proche que le nôtre, comme le Cameroun ou le Costa-Rica qui ont des sols et des climats très proches et leurs expériences peuvent être mis au service de l’agriculture martiniquaise.
- La deuxième échelle, c’est tous ceux qui sont chargés de vérifier les prototypes, l’adoptabilité, de voir si ce qui a été mis au point dans le laboratoire, peut être utilisé au champ, de faire aussi les adaptations nécessaires. Ce’est le cœur de métier de l’institut technique ; les instituts de recherches s’en occupent, mais aussi l’ID2, le CDCS, la FREDON, la Chambre d’agriculture et le Parc naturel régional, le PARM, chacun à leur échelle et pour leurs compétences apportent déjà leur pierre à l’édifice.
Ce travail doit profiter à tous et pas seulement aux agriculteurs qui ont voulu prêter leurs champs et leurs moyens pour valider les prototypes. Il faut que les coopératives agricoles, les organismes professionnels, la Chambre en premier chef bien sûr, puissent transférer ces résultats au maximum de professionnels, sans oublier l’enseignement agricole qui forme les agriculteurs de demain.
Quels sont les prototypes ? Sont-ils déjà développés, sont-ils déjà à la disposition des agriculteurs et sont-ils monnayables ?
Certains sont déjà en devenir et sur lesquels nous sommes en train de réfléchir dans le cadre de futurs projets. D’autres sont en cours ou en fin de validation. Par exemple, nous travaillons depuis 3 ou 4 ans, essentiellement avec la FREDON sur un prototype en fin de validation, c’est le petit élevage sous verger avec la station d’essai agro écologique du Conseil général. Dans ce cadre, nous en avons une parcelle où nous faisons pâturer par des moutons des vergers d’anone et l’autre, où nous mettons sur la même parcelle deux productions, d’un côté un élevage de volailles (essentiellement de canards et d’oies qui sont les plus efficaces pour gérer les herbes qui poussent spontanément) et de l’autre, des vergers d’agrumes au-dessus. L’idée étant de faire d’une pierre deux coups :
1/ De maîtriser l’enherbement, donc de réussir le pari d’un verger sans pesticides
2/ D'apporter un revenu complémentaire à l’agriculteur via la production de viande (volaille ou mouton).
Un autre exemple de prototype en cours de mise au point. La lutte contre une bactérie. Le facteur limitant aujourd’hui de la tomate, c’est une bactérie qui s’attaque à la tomate, mais aussi aux cucurbitacées, aux principaux légumes fruits (aubergine, piment, melon, concombre…). Pour lutter contre celle-ci, nous utilisons en même temps que la culture principale, des plantes qui vont pouvoir, par les substances qu’elles émettent dans le sol, participer au contrôle de la maladie et réduire son influence. On peut aussi faire des rotations avec des plantes assainissantes, notamment les crotalaires qui, par des substances qu’elles émettent dans le sol ont des activités bactéricides extrêmement importantes. On peut combiner les deux, mais il est désormais possible de retarder de deux à trois mois l’apparition de la maladie, et donc d’assurer à l’agriculteur qu’il gagnera sa vie, que sa culture sera rentable et également de baisser l’incidence de la maladie.
Un troisième exemple, vis-à-vis de nos amis éleveurs : ICARE qui est l’institut technique dédié à l’élevage est en train de faire un gros travail pour améliorer la production herbagère et permettre aux éleveurs de moins dépendre pour les aliments de leurs bétail, des apports de l’extérieur en optimisant la pousse de l’herbe et l’utilisation des ressources en fourrage.
Parlez-nous de cette organisation ?
On ne parle plus d’expérimentation et de recherches, mais d’innovation. L’innovation, ce sont les inventions qui sont adoptées. Aujourd’hui, un homme politique ne veut plus payer pour des recherches s’il n’est pas sûr que ces recherches ne seront pas utilisées par quelqu’un. Nous, instituts de recherches, nous avons une obligation, non plus de moyens comme dans le passé, mais de résultats. Nous sommes très fortement incités à aider, à participer à l’organisation de l’innovation pour être sûrs que notre travail sera utilisé d’un côté et que de l’autre, les besoins des utilisateurs finaux, dans notre cas les agriculteurs, nous remonteront efficacement. Non seulement nous allons pousser les gens à travailler ensemble, mais le réseau technique a pour objectif de les faire communiquer de manière à ce que les informations qui parviennent aux uns, arrivent aux oreilles des autres. Lorsqu’un problème émergent arrive au niveau agriculteurs, l’information remonte bien jusqu’à nous de manière à réorienter nos programmes de recherche de manière à répondre aux questions et aux défis auxquels les agriculteurs auront besoin de répondre demain. Tout cet aspect : communication, organisation de la diffusion de l’innovation devient particulièrement important et les moyens de la Chambre étant ce qu’ils sont, il est important que les autres aussi participent et aident l'aide dans ce travail d’organisation commun. Plutôt que de dire que nos concurrents sont la Chambre, mettons un réseau parallèle, nous nous mettons à la disposition de la Chambre pour qu’elle réponde mieux aux défis qui se poseront à elle, un instrument auquel tout le monde participe et l’aide à atteindre ses objectifs.
Quel est votre budget et comment êtes-vous financé ?
Le but de nos prototypes est qu’il soit utilisé par un maximum de gens. Rien que le verger sans pesticides, bien que un ou deux agriculteurs le réussissent, mais ce n’est pas suffisant. Le problème des pollutions agricoles se pose à l’échelle de l’ensemble du territoire, c’est un problème global. Pour pouvoir réussir le pari d’une Martinique plus propre, le pari d’un contrôle et d’une suppression de l’utilisation des pesticides et des désagréments qu’ils provoquent, il faut qu’il y ait un maximum de gens qui puissent adopter les solutions que nous mettons ensemble au point dans le cadre du réseau d’institut technique. Il ne faut pas que nos inventions soient vendues aux utilisateurs finaux puisque nous voulons qu’ils les adoptent le plus vite possible. Ce qui explique pourquoi le réseau est exclusivement financé par des fonds publics ; d’une part des fonds nationaux et d’autre part par des fonds régionaux et européens, de manière à réussir au mieux le pari d’une agriculture propre et productive et le pari d’une amélioration de la couverture en fruits et légumes sains et en produits animaux, des Martiniquais de demain. Cela va aussi du côté qualité.
Actuellement, les montants en jeu sont de l’ordre de 2 millions et demi d’euro pour deux ans. Les montants qui vont être sollicités pour la suite du projet sont actuellement en cours de négociation.
Comment fonctionne le réseau RITA ?
Pour l’instant la gouvernance est organisée autour de deux comités :
Un comité technique organisé autour de l’agriculture, présidé par la Chambre d’agriculture qui regroupe l’ensemble des structures qui participent au réseau. Il a pour objectif de fixer les priorités et actions à mener et de définir les forces à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs que nous fixons en commande. L’Etat préside le CPR (Comité de Pilotage Régional) qui regroupe des représentants de la Région, de la Chambre d’agriculture, de la recherche essentiellement du CIRAD, mais aussi des autres instituts de recherches ainsi que les principaux organismes qui font le travail d’institut technique (IT2, la FREDON et ICARE). A partir de l’année prochaine nous ajouterons d’autres organismes comme le PARM, le Parc naturel régional et l’enseignement agricole.
Le CPR, le principal organisme de gouvernance, nous permet de faire le bilan des actions, d’attribuer les moyens et de partager le travail de manière qu’il soit le plus efficace possible. C’est aussi l’instance dans laquelle on rencontre et où l’on doit fournir l’information nécessaire pour que chaque partenaire puisse travailler dans la meilleure intelligence possible avec les autres.
Qui êtes-vous au sein du réseau RITA M. CHABRIER ?
Pour le réseau RITA j’ai parlé en tant que directeur du Campus agro environnementale caraïbe qui fédère l’ensemble des instituts de recherches agricoles présents en Martinique et également en tant que représentant du CIRAD à la Martinique, donc en tant que représentant de l’ensemble des organismes de recherches présents en Martinique.
Pensez vous que les solutions que vous allez apporter à l’agriculteur lui permettront de diminuer ses coûts de production ?
Par exemple le développement de méthodes agro écologiques pour la production de fruits et légumes, l’un des gros objectifs c’est d’un côté la lutte contre les parasites ravageurs sans utiliser de pesticides donc une source de coût en moins ; c’est aussi une diversification de production à l’échelle du champs et de l’exploitation qui lui permet d’avoir une meilleure régularité de production. L’un de nos principaux objectifs, c’est aussi d’améliorer d’une manière générale la productivité ; on peut jouer d’un côté sur le coût et une meilleure quantité, en travail et en investissement.
Nous veillerons de plus en plus à ce que les solutions proposées dans le cadre de RITA soient économiquement viables pour le producteur. Il est hors de question de monter des systèmes qui seraient économiquement irréalistes ; l’objectif étant de les diffuser, il faut qu’économiquement l’agriculteur se retrouve. L’objectif de RITA c’est de diffuser la technique, mais aussi de montrer aux exploitants qu’ils ont intérêt à y aller, parce qu’économiquement ils vont se retrouver.
Mais votre tâche est dure, vous avez une obligation de résultat avec peu de moyens…
Nous avons obligation de trouver des solutions qui soient économiquement pertinentes et prouvées économiquement pour l’agriculteur. La finalité du RITA n’est pas seulement de trouver des solutions, mais de les diffuser.
En tant que défenseurs de l’environnement, quel est votre avis sur le développement de la Martinique et comment voyez-vous le futur de son développement agricole ?
Il y a eu d'importantes évolutions, avec des choses bien et d’autres moins.
Parmi les plus, on peut citer l’évolution de la filière banane avec une évolution des pratiques, une prise de conscience, à la fois de la triple demande, de la société, des enjeux environnementaux, des problèmes de productivité des plantations ; où les agriculteurs ont changé de systèmes, (par exemple M. Jean-Michel Hayot qui au lieu de faire sur une partie de sa plantation de la banane et sur l’autre parti de la canne en continu, s’est décidé de faire de la rotation banane-canne, ces deux plantes ont des qualités et des défauts parfaitement complémentaires. Cela permet d’améliorer la durabilité de la plantation et aussi de faire de la canne et de la banane sans utiliser trop de pesticides au sol ; cela lui a permis de diviser par 20 la quantité de pesticides utilisée).
Il y a aussi une prise de conscience de l’importance des ingénieurs du sol et de tout ce qui est ver de terre, fourmi, termite et d’un certain nombre d’organismes du sol qui jusqu’à présent étaient mal ou peu considérés. La prise en compte du fait que le sol est un milieu vivant, qu’il ne faut pas le matraquer en faisant n’importe quoi comme travail du sol. L’inconvénient est dans l’évolution des structures et de l’évolution sociale qui se traduit par une diminution des sols agricoles.
Notre préoccupation aujourd’hui est comment faire pour qu’il y ait une relève dans les métiers agricoles, l’âge moyen des agriculteurs a tendance à monter de façon inquiétante. J’ai peur que la Martinique devienne comme la Corse, c’est-à-dire où les gens partent à 18 ans pour y revenir à 65. Vu les statistiques, je pense que c’est l’un des défis qui sera posé à nos politiques dans les années qui viennent.